Exposition collective du 5 octobre 2020 au 31 janvier 2021. Vernissage mercredi 7 octobre à 19h00.
Commissariat : Corinne Szabo
avec les artistes :
Bruno Falibois - photographies.
Thierry Riffis - peintures.
Laurent Valera - sélection de collages de la série Rythmes (2019-2020).
Visites commentées en présence des artistes :
- samedi 10 octobre à 11h00.
- mercredi 11 novembre à 15h00.
- jeudi 12 novembre à 11h00.
ÊTRE CHAIR[1]
Si le monde judéo-chrétien a fourni un éventail varié de thèmes iconographiques et plastiques pour figurer l’incarnation, les artistes contemporains, en marge des
formes classiques fixées dès la fin du Moyen-Âge occidental, nous donnent une toute nouvelle expérience de la spiritualité faite chair à travers des images métaphoriques puissantes dont le
mutisme et l’abstraction sont l’équivalent de la révélation. Dès lors, la mimésis réaliste s’efface au profit de techniques de défiguration, de recouvrement et de fragmentation des corps et des
espaces pour dire plus intensément la vérité subjective de l’esprit incarné dans la chair.
Il s’agit de chercher à communiquer au spectateur, par l’intermédiaire des couleurs et des lignes du tableau ou de la photographie, la violence et la singularité de
l’émotion. Chez Thierry Riffis, c’est l’hyperbole et le style expressionniste qui y répondent en peinture, style qui privilégie la projection d’une subjectivité tendant à déformer la réalité pour
atteindre une plus grande intensité expressive : la représentation des sentiments se fait via des empâtements marqués et des couleurs violentes dans des échafaudages graphiques qui perturbent la
vision hallucinée des corps. Chez Laurent Valera, les compositions abstraites géométriques déclinent le motif simple d’un élément unique : une bande de ruban adhésif coloré de 5 cm de large par
26 cm de long qui forme dans la totalité de l’espace l’image d’une trame à travers laquelle joue la lumière. La grille qui s’y reflète devient la projection, le miroir mouvant d’une perception.
Chez Bruno Falibois, le processus de construction de l’image opère également une déformation subjective. Loin du statut objectif et indiciel de la photographie, l’image est le résultat
d’opérations où le corps et l’espace sont déformés, dédoublés, démembrés ou décomposés par des objets et des filtres parasitaires qui intensifient la projection mentale. La division et le
compartimentage du champ de vision produit l’émergence de la présence.
Ce qui relient les démarches des trois artistes se joue aussi au niveau des correspondances intersensorielles : des connexions entre les sons et le mouvement pour
les peintres dont les gestes sont modulés par des rythmes musicaux, des couleurs et des textures, des interactions entre la vue et le toucher pour le photographe dont l’œuvre prend corps par
l’incarnation en son sein du physique de l’artiste. Le corps de l’oeuvre contient le résultat des mécanismes de projection et d’intégration d’éléments psychiques et d’aspects corporels : l’image
constituerait ainsi un analogon de la fonction limite de la peau, fonction se référant à la notion du « Moi-Peau »[2] développée par Didier Anzieu. ÊTRE-CHAIR, MOI-PEAU, l’œuvre est bien cette
surface de contact absorbant la substance projective de l’artiste et rendant compte de la spiritualité du monde.
Corinne Szabo
pour l’Espace Beaulieu, juillet 2020
1. Le terme a été emprunté au titre de deux séries de peintures de Thierry Riffis.
2. Ce concept est développé dans une série de photographies de Bruno Falibois.